Comment transmettre sans effacer ?
Le yoga, tel que nous le connaissons aujourd’hui en Occident, est souvent déconnecté de ses racines profondes dans la culture indienne. Tandis que cette pratique de plus en plus populaire est souvent abordée sous un angle purement physique, il est essentiel de se rappeler que le yoga est d’abord une philosophie et une tradition spirituelle qui s’inscrit dans un cadre historique, religieux et culturel spécifique. Ce décalage soulève une question fondamentale : comment continuer à pratiquer et à enseigner le yoga tout en respectant les cultures qui lui ont donné naissance, sans tomber dans le piège de l’appropriation culturelle ?
Le yoga m’a profondément transformé·e. Il m’a offert une discipline, une sagesse, une voie d’exploration intérieure. Mais je suis conscient·e que cette pratique ne vient pas de moi, ni de mon histoire. Elle puise ses racines dans une culture ancienne : celle de l’Inde.
Et dans un monde globalisé où tout circule — les idées, les traditions, les rituels — je crois qu’il est crucial de se poser une question simple, mais essentielle :
👉 Comment transmettre le yoga en Occident sans tomber dans l’appropriation culturelle ?
L’appropriation culturelle : un sujet délicat
Dans le contexte du yoga, l’appropriation culturelle se réfère à l’adoption de pratiques, symboles et éléments d’une culture sans respect pour leur contexte d’origine. Cela peut se manifester par l’utilisation de termes sacrés sans compréhension de leur signification, ou encore par l’intégration de rituels religieux dans un cadre décontextualisé.
« l’appropriation culturelle, loin d’être un acte anodin, est un processus qui rend invisible l’origine des pratiques et des savoirs, effaçant ainsi l’histoire et les luttes des peuples concernés. »
Camille Teste –
Le défi de l’éthique : un équilibre à trouver
Pour moi, l’un des défis majeurs du yoga dans le monde occidental réside dans l’équilibre entre la transmission de cette pratique tout en étant respectueux des cultures qui l’ont engendrée. Il s’agit de ne pas invisibiliser l’Inde et ses traditions, tout en reconnaissant que je n’appartiens pas à cette culture. C’est un cheminement, parfois inconfortable, mais nécessaire.
L’un de mes choix personnels a été de continuer à enseigner les postures en sanskrit. Le sanskrit, au-delà de son aspect linguistique, est un lien direct avec l’Inde ancienne, et il porte en lui une partie de la spiritualité qui est inhérente à la pratique du yoga. En persistant à utiliser ces termes, je souhaite rendre hommage à cette langue et à la culture qui l’ont façonnée, tout en conservant une relation authentique avec la tradition.
Les mantras et mythes hindous : un pont entre les cultures
De même, chanter des mantras et raconter les mythes hindous fait partie intégrante de ma pratique. Cependant, je fais cela en pleine conscience de leur origine religieuse et spirituelle. Il ne s’agit pas d’utiliser ces éléments de manière superficielle ou commerciale, mais bien de les comprendre dans leur contexte.
« le yoga ne se limite pas à une série de postures physiques, il est un chemin de transformation spirituelle, qui se doit de respecter la profondeur de ses racines. »
Rodney Williams –
En racontant ces mythes et en chantant ces mantras, je cherche à honorer une tradition qui ne m’appartient pas, mais qui est un cadeau de la culture indienne.
La question des objets religieux : une frontière à ne pas franchir
Une autre réflexion que je porte régulièrement concerne l’usage d’objets religieux dans mes espaces de pratique. Bien que les statues de divinités hindoues, comme Ganesh ou Shiva, soient courantes dans de nombreux studios de yoga, je choisis de ne pas intégrer de tels éléments dans mes espaces. Ces objets sont porteurs d’une charge religieuse importante pour ceux qui suivent les croyances hindoues. Ce choix, que j’assume pleinement, s’inscrit dans une démarche de respect envers les croyances de chacun, en évitant de confondre un lieu de pratique physique avec un lieu de culte.
« l’utilisation des symboles religieux, sans une compréhension ni une intention respectueuse, peut devenir un acte de banalisation ou d’instrumentalisation de croyances sacrées. »
Zineb Fahsi –
Réflexion et responsabilité : une approche consciente et respectueuse
En définitive, l’enseignement du yoga et sa pratique dans un contexte occidental nécessite une réflexion constante sur l’authenticité, le respect et la responsabilité. Marie Kock, dans ses recherches sur l’appropriation culturelle, insiste sur le fait que la question n’est pas de renoncer à une pratique bénéfique, mais de s’interroger sans cesse sur la manière dont nous la transmettons. Il s’agit de maintenir un dialogue respectueux avec les racines du yoga, sans chercher à effacer la culture indienne, tout en reconnaissant les limites de notre position et de notre influence.
Ce que j’essaie de faire, avec mes limites
Ainsi, en tant qu’enseignant, je me vois dans l’obligation d’adopter une posture d’humilité, de questionner constamment mes choix, et d’être à l’écoute des critiques et des évolutions de cette pratique. Mon objectif est de célébrer et de partager le yoga sans en occulter les origines, mais avec une conscience claire des enjeux éthiques et culturels qui l’accompagnent.
Je n’ai pas toutes les réponses. Mais j’ai pris des engagements concrets :
• Enseigner les postures en sanskrit, non pour « faire plus spirituel », mais pour garder vivant le lien avec une tradition millénaire.
• Chanter les mantras et transmettre les récits hindous avec conscience, sans les extraire de leur portée religieuse.
• Ne pas intégrer d’objets sacrés dans mes studios (Ganesh, Shiva, etc.), par respect pour ceux pour qui ces représentations sont des formes de dévotion.
Ce ne sont pas des règles universelles. Ce sont des choix que je fais, en conscience, et que je continue de questionner.
L’éthique n’est pas un état. C’est un processus. Ce que je sais aujourd’hui, je pourrais le voir autrement demain. Mais ce qui reste, c’est la volonté de ne pas faire de cette pratique un produit « détachable », décontextualisé, consommable.
il ne s’agit pas de renoncer au yoga, mais de réfléchir à la manière dont on le transmet, et à ce que cela implique.
Marie Kock –
Mes réflexions en cours sur yoga et appropriation culturelle
Comment transmettre sans effacer ?
En honorant la source, en nommant d’où viennent les choses.
En gardant toujours en tête que ce que l’on enseigne a une histoire, un enracinement, des visages.
Transmettre sans effacer, c’est parler de l’Inde quand on parle de yoga.
C’est dire les noms en sanskrit, sans exotiser. C’est citer les maîtres, sans s’approprier leur voix.
C’est laisser une place à ce qui nous dépasse.
Comment honorer une tradition qui ne m’appartient pas ?
Par l’humilité.
Par l’apprentissage — jamais fini.
Par le fait de ne pas se poser au centre.
Honorer, c’est dire « merci » avec ses gestes, ses choix, son silence parfois.
C’est enseigner en se rappelant que cette pratique ne nous est pas due, qu’elle a été transmise au prix de beaucoup de détours, parfois de souffrances, parfois de silences imposés.
Où se situe la frontière entre inspiration et appropriation ?
Elle est fine. Elle bouge. Elle demande qu’on s’y arrête souvent.
L’inspiration naît de l’admiration, du respect, du lien.
L’appropriation commence quand on extrait, qu’on simplifie, qu’on commercialise, qu’on oublie les racines.
La frontière, c’est notre intention… mais aussi l’impact que cela peut avoir sur ceux à qui cela appartient.
Alors il faut écouter. Relire. Réajuster. Demander. Et parfois, renoncer.
Pour finir
Le yoga, en tant que pratique spirituelle, ne doit pas être réduit à une simple mode ou à une activité de bien-être. C’est une invitation à réfléchir à notre place, à nos responsabilités, à notre rapport aux cultures dont nous héritons parfois sans les connaître. Il nous appartient de le pratiquer avec respect, humilité et ouverture d’esprit, en honorant les traditions qui l’ont façonné tout en restant attentifs à ne pas l’exploiter. En fin de compte, il s’agit d’une invitation à grandir, non seulement physiquement, mais aussi éthiquement et culturellement.
Je continuerai à marcher sur ce fil : entre respect, humilité et transmission. Non pas pour être exemplaire.Mais pour être aligné. Et si cette réflexion vous parle, je serais heureux de lire vos retours, critiques, ou expériences.